Dictionnaire bilingue du Droit de la Régulation et de la Compliance

Capture (du régulateur)

La capture est un terme usuellement utilisé dans les théories économiques et vise la situation dans laquelle une institution, notamment le régulateur, perd son indépendance par l’influence exercée par un tiers sur lui. Le cas extrême de la capture est la corruption, par laquelle un opérateur s’approprie le pouvoir de décision du régulateur. Mais la capture par corruption n’est paradoxalement pas la situation la plus dangereuse, bien que relevant du droit pénal, car elle est la plus visible et si le système économique entier n’est pas corrompu elle peut être combattue, par exemple par le changement des personnes qui gouvernent l’autorité de régulation. La capture est plus problématique lorsqu’elle est insidieuse. Ainsi, le secteur peut capturer le régulateur par compromission lorsque les personnes qui sont dans les entreprises sont les amis des personnes qui sont dans les autorités de régulation, par exemple lorsqu’ils ont à l’époque de leurs études fréquenté les mêmes écoles, ou lorsqu’ils ont plus tard fréquenté les mêmes clubs, pratiqué les mêmes sports, ou bien lorsqu’ils sont dans leur carrière allés des institutions de régulateur aux entreprises et vice versa en passant, par les cabinets de conseil et d’avocats ;

En outre, la capture peut se faire non plus par manœuvre opérée sur les hommes mais sur les choses. En effet, pour capturer le régulateur, il faut mais il suffit de ne pas lui donner les informations dont celui-ci a besoin, ou bien de lui donner les mauvaises informations. L’asymétrie d’information accroît le risque de capture du régulateur, ce qui explique que le régulateur financier y soit particulièrement exposé. Ainsi, plus le secteur est technique et plus le régulateur risque d’être capturé (par exemple en matière nucléaire, où le secret défense s’oppose à l’idée même d’information, sans que l’idée de moralité des personnes ou de corruption interfère nécessairement).

Or, si le régulateur est capturé par le secteur, le système même de régulation s’écroule. En effet, le régulateur a pour fonction de contrôler en permanence le secteur, pour prendre en ex ante la règlementation qui convient ou formuler un avis à ce propos et pour sanctionner en ex post les manquements qu’il a pu constater, mais sa capture l’empêche de remplir cet office. C’est pourquoi la capture du régulateur est l’obstacle qui anéantit le système de régulation dans son entier.

Concurrence

La concurrence est la loi du marché. Elle permet l’émergence du prix exact, que l’on désigne souvent sous l’appellation de « juste prix ». Elle signifie et requiert que les agents sur le marchés sont à la fois mobiles, c'est-à-dire libres d’exercer leur volonté, et atomisés, c'est-à-dire non regroupés entre eux. Cela est vrai pour ceux qui proposent un bien ou un service, les offreurs, comme pour ceux qui cherchent à les acquérir, les demandeurs : les offreurs cherchent à s’attirer les demandeurs pour que ceux-ci leur achètent les biens et services qu’ils proposent. En cela, ils sont entre eux en concurrence.

Sur le marché concurrentiel, les acheteurs se laissent aller à leur infidélité naturelle : quand bien même ils auraient précédemment acheté un produit à un offreur A, ils pourront s’en détourner au profit d’un offreur B si celui-ci leur offre un produit plus attractif quant à sa qualité ou son prix. Le signal et l’information principaux que mettent les offreurs sur le marché pour exciter cette mobilité concurrentielle des offreurs sont les prix. Ainsi, la libre concurrence accélère la fluidifie du marché, la circulation des biens et services, fait monter la qualité des produits et services et fait baisser les prix. Il s’agit donc d’un système moral et vertueux, comme le voulait Adam Smith, fruits des vices individuels. C’est pourquoi, tout ce qui va injecter de la « viscosité » dans le système va être combattu par le Droit de la concurrence comme « non vertueux » : par exemple les clauses d’exclusivité, les accords par lesquels les entreprises retardent leur entrée sur le marché ou bien des droits de propriété intellectuelle qui réservent au titulaire de brevet un monopole.

Certes, le droit de la concurrence ne peut être réduit à une présentation d’une telle simplicité car il admet des organisations économiques qui s’éloignent de ce modèle de base, par exemple les réseaux de distribution ou les mécanismes de brevets sur lesquels est notamment  construit le secteur pharmaceutique. Mais l’incidence est d’ordre probatoire : dans la sphère du droit de la concurrence, si l’on est dans un schéma qui ne relève pas de la figure fondamentale de la libre confrontation de l’offre et de la demande, il faudra démontrer la légitimité et l’efficacité de son organisation, ce qui est une charge lourde pour les entreprises ou les États en cause.

Ainsi,en matière de régulation, si l’on devait estimer que la régulation est une exception à la concurrence, exception admise par les autorités de concurrence mais dont devraient être démontrées sans cesse devant elles sa légitimité et son efficacité au regard de l’ordre concurrentiel, alors les organisations publiques et les opérateurs des secteurs régulés subiraient toujours une charge de preuve très lourde. C’est ce que considèrent les autorités de concurrence.

Mais, si l’on considère que les secteurs régulés relèvent d’une toute autre logique que la logique concurrentielle, aussi bien du point de vue économique que du point de vue juridique, le Droit de la régulation se référant notamment à la notion de service public et ayant ses institutions propres que sont les Autorités de régulation, alors certains comportements, notamment monopolistiques, ne sont pas illégitimes en soi et n’ont pas à se justifier face au modèle concurrentiel, car ils n’en constituent pas l’exception (par exemple le service public de l’éducation ou de la santé).

Confiance

La confiance a longtemps été le socle même des systèmes monétaires, bancaires, financiers et assurantiels. L’industrie bancaire et financière repose sur la confiance que les consommateurs, ici les investisseurs, accordent aux titres qu’ils acquièrent. En effet, les biens émis sur le marché n’ont pas de corporalité et leur valeur ne dépend que de la confiance que l’acheteur insère dans la valeur que les autres investisseurs eux-mêmes accordent au titre. C’est pourquoi on affirme que le marché financier est intersubjectif. Ce caractère très subjectif des marchés bancaires et financiers n’est pas partagé avec les marchés des biens et services parce que sur ceux-ci, les biens ont une existence corporelle qui est palpable par le consommateur. Et il n’est pas besoin de faire confiance au vendeur de pommes pour savoir que la pomme existe, et il faut peu de temps pour la mordre et en connaitre le gout. Le titre financier ne peut avoir ces vertus.

Cette subjectivisation des marchés bancaires et financiers a engendré la nécessité de régulateur charismatique, et ce sont sur ces seuls marchés que l’on trouve des banquiers centraux – gourous - dont Alan Greenspan a longtemps été le parangon, puisqu'on admet aujourd'hui le rôle de "régulateur" des banquiers centraux. Ainsi, le comportement des personnes, l’image qu’ils donnent à voir, leur réputation, les anticipations de leurs comportements, etc., sont essentielles et la théorie économique des jeux s’est largement développée à propos des marchés bancaires et financiers. De la même façon, sur ces secteurs-là, la régulation et la supervision s'articulent, la personnalité des personnes qui dirigent les établissements systémiques étant contrôlés.

Mais la question de la confiance peut être posée en termes plus généraux, ce qui suppose la question du lien entre la régulation, la supervision et la référence même à un "secteur". La difficulté principale - et elle est assez générale - tient au fait que la confiance est volatile et que la crainte la fait perdre, la peur étant auto-réalisatrice. Comme l’a montré la crise financière de 2008, l’enjeu majeur est alors la restauration par la régulation de la confiance sur les marchés, en premier lieu bancaires et financiers (sans laquelle les consommateurs cesseraient de consommer les produits proposés par les marchés). Plus encore, la panique, engendrée par la disparition de la confiance, peut aller jusqu’à la perte de celle-ci envers l’État, comme dans le cas de la crise grecque en 2010, et faire que les consommateurs retirent leurs dépôts des banques, faisant s’écrouler le système.

La restauration de la confiance est extrêmement difficile car les textes juridiques et le Droit d'une façon plus générale sont malhabiles à faire naître des sentiments : on ne décrète pas la confiance. Les différents États cherchent les solutions de régulation, soit en accroissant les exigences prudentielles (modèle européen) soit en surveillant étroitement l’usage des fonds par les banques (règle Volcker pour les États-Unis), soit en organisant par avance la distribution des actifs par une banque qui tomberait en faillite ce qui éliminerait l’effet systémique du domino (idée britannique du testament des banques, organisée par le régulateur ou la banque centrale). D'une façon plus générale, c'est le régulateur qui injecte de la confiance. C’est pourquoi ils doivent être autonomes des gouvernements parce que ceux-ci sont souvent techniquement en conflit d'intérêts et plus généralement trop capturés par leur opinion publique.

 

Conflit d'intérêts

D’une façon paradoxale, la notion de conflit d’intérêts semble avoir été découverte récemment. En effet, dans la tradition française, du côté de l‘État, celui qui le sert fait par une sorte d'effet naturel passer l’intérêt général incarné par l’État avant son intérêt personnel : il y a certes une opposition d’intérêts, à savoir l’intérêt personnel de l’agent public qui voudrait par exemple travailler moins et gagner plus, et l’intérêt général de la collectivité, qui voudrait payer moins d’impôts et bénéficier de trains qui arrivent plus à l’heure ; mais ce conflit est résolu naturellement car l’agent public, ayant « le sens de l’intérêt général », se sacrifie pour servir l’intérêt général. Il reste tard à son bureau et fait arriver les trains à l’heure. Le Professeur de droit Jacques Chevallier a montré que cette théorie du service public était l’héritage de la Royauté, système dans lequel le Roi est au service du Peuple, tandis que l’aristocratie, au "service du Roi" part en guerre pour celui-ci. Il ne peut donc y avoir de conflit d’intérêts problématique ni dans l’administration ni dans les entreprises publiques, ni à observer, ni à gérer ni à dissoudre.

Si l’on se tourne du côté de la sphère économique privée, dans la conception traditionnelle, les mandataires sociaux sont nécessairement associés de la société commerciale et les bénéfices sont obligatoirement répartis entre tous les associés : le contrat de société est un « contrat d’intérêt commun ». Ainsi, le mandataire social travaille en sachant que les fruits de ses efforts lui reviendront à travers les bénéfices qu’il recevra en tant qu’associé. Quel que soit son égoïsme, ce mécanisme produit la satisfaction de tous les autres associés qui mécaniquement recevront aussi en partage les bénéfices. Ainsi, dans le mécanisme sociétaire, il n’y a jamais de conflit d’intérêt dès l’instant où le mandataire social est obligatoirement associé : il travaillera toujours dans l’intérêt des associés puisqu’en cela il travaille pour lui-même.

Ces deux représentations se sont révélées inexactes. Prenons la première : le « sens de l’État » n’est pas à ce point partagé dans l’administration et les entreprises publiques, que les personnes qui y travaillent se sacrifient pour le groupe social. Des chercheurs en économie et en finance qui ont fait voler en éclat ces représentations politiques et juridiques. Plus particulièrement, on a constaté que le train de vie institutionnel des entreprises publiques, très proches du gouvernement et de leurs dirigeants, était souvent peu justifié alors qu'il est payé par le contribuable, c'est-à-dire par le groupe social qu’elles prétendaient servir. L’Europe, en affirmant dans le Traité de Rome le principe de "neutralité du capital des entreprises", c’est-a-dire l’indifférence au fait que l’entreprise ait pour actionnaire une personne privée ou une personne publique, a validé cette absence de dépassement de son intérêt particulier par le serviteur de l’État, devenu simple agent économique.

La désillusion fut encore plus forte concernant la sphère privée. En effet, le schéma traditionnel reposait sur l’absence même de conflit d’intérêts. Or, le mandataire social n’a pas pour seul avantage des bénéfices qu’il recevra plus tard comme associé. Il reçoit de très multiples avantages (voiture de fonction, frais de réception, appartement de fonction, etc.). Les autres associés voient leur bénéfice diminuer d’autant. Ils sont ainsi en conflit d’intérêts. Plus encore, le mandataire social a été élu par l’assemblée des actionnaires, c'est-à-dire concrètement, l’actionnaire majoritaire ou l’actionnaire « contrôlaire » (actionnaire de contrôle) et non par tous. Il peut même n'être pas associé ("haut dirigeant"). Le conflit d’intérêt existe donc entre le dirigeant, le "manager" et l’actionnaire minoritaire. L’actionnaire minoritaire n’ayant pas le pouvoir de fait de révoquer le mandataire social, puisqu’il ne dispose pas de la majorité des droits de vote, la question ne se posant même pas si le dirigeant n'a pas un statut sociétaire, il ne dispose que du pouvoir de céder ses titres, si la gestion du manager lui est défavorable (droit de sortie). Ainsi, ce conflit d’intérêt se traduit par la circulation des titres. C’est pourquoi si la société est cotée, le conflit d’intérêts se traduit dialectiquement entre le mandataire social et le marché financier.Le manager pourrait certes avoir le « sens de l’intérêt social », une sorte d’équivalent de sens de l’État, s’il a une déontologie, ce qui alimenterait une autorégulation. Peu de personnes croient à la réalité de cette hypothèse. Par pragmatisme, on admet plus volontiers que le manager préfèrera son intérêt à celui de l’actionnaire minoritaire. En effet, il peut servir son intérêt personnel plutôt que l’intérêt au service duquel un pouvoir lui a été donné grâce à la rente informationnelle dont il est doté, et à l’asymétrie d’information dont il bénéficie. Toute la régulation va intervenir pour réduire cette asymétrie d’information et en doter l’actionnaire minoritaire grâce au régulateur qui défend les intérêts du marché contre les mandataires sociaux, au besoin à travers du droit pénal. Mais la croyance dans la bénévolance des managers a repris vigueur récemment avec la corporate social responsability, cette responsabilité sociale de l'entreprise par laquelle les dirigeants expriment leur souci des autres.

Les conflits d’intérêts gangrènent le marché financier car aujourd’hui on ne croit plus que les personnes dépassent leur intérêt personnel pour servir l’intérêt des autres. C'est peut-être pour retrouver une confiance, voire une sympathie, que les entreprises ont investi dans une responsabilité sociale qui s'élabore par un droit très souple. Pour prendre des exemples de conflits d'intérêt qui ont retenu l'attention,  les agences de notations étaient à la fois payées par les banques, pour les conseiller et concevoir des produits, tout en étant la source des notations, principaux indices à partir desquels les investissements s’opèrent. Or les banques sont les premiers intermédiaires financiers. Donc, les agences de notations sont en conflit d’intérêts. Avant la crise financière de 2008, très peu l’ont relevé. En 2008, certains régulateurs nord-américains vont jusqu’à proposer de supprimer l’activité d’agence de notation qui par ailleurs présente le risque d’être aujourd’hui concentrée sur 3 opérateurs pour l’ensemble du monde. On a préféré régulé l'activité de notation.

Consommateur

Dans son principe, le droit de la concurrence ne protège ni les concurrents ni les consommateurs. La Commission européenne rappelle toujours cette règle fondamentale, le consommateur étant la mesure du bon fonctionnement du marché et son souci ultime mais non nécessairement immédiat. Le droit de la régulation quant à lui, droit d’équilibre qui met en balance le principe de concurrence avec un autre principe peut poser la protection du consommateur comme principe autonome en équilibre du souci concurrentiel. En effet, la régulation peut ex ante fixer les prix à un prix inférieur au prix de marché, notamment en matière de télécommunications ou d’énergie, pour développer une demande, et continuer à établir dans ces deux secteurs des tarifs sociaux, ce que le système concurrentiel ne pourrait admettre. En outre, toujours grâce à ce pouvoir ex ante que manient les régulateurs, tandis que les autorités de concurrence sont des organismes ex post, sont organisées d'une façon préalable les informations du consommateur notamment quant à la qualité du produit qu’il consomme. Cela est particulièrement net en matière de régulation bancaire et financière.

En effet, les textes obligent les banques à informer leurs clients des produits financiers qu’ils envisagent d’acquérir et des risques que ceux-ci présentent. En cela, la protection du consommateur apparaît comme un but servi par la régulation, en balance avec la libre concurrence dans laquelle le consommateur a vocation à s’informer par lui-même sur le marché en contact avec les offreurs. En matière bancaire et financière, l’information du consommateur est actuellement un enjeu particulièrement important parce qu’en informant le consommateur-investisseur sur les risques, la régulation lui redonne confiance, par la transparence, dans le système. Par cette mise en balance entre concurrence et risque, la régulation injecte de la confiance dans le secteur bancaire et financier, qui repose sur celle-ci.

Contrat

Le contrat est l'instrument juridique principal et naturel du marché concurrentiel. Il paraît étranger à la régulation qui, proche de la "réglementation", paraît davantage s'exprimer dans des actes juridiques publics unilatéraux.

Mais cette division s'estompe car le contrat est un instrument efficace en ce qu'il rend acquise l'acceptation du destinataire de la norme, devenant ainsi l'instrument privilégié des politiques publiques. Le Régulateur va l'utiliser d'autant plus que d'une part, par le contrat, les opérateurs lui apportent de l'information et que d'autre part, les opérateurs ayant de fait la puissance de lui désobéir un rapport contractuel de convergence d'intérets est pragmatiquement plus efficace. C'est pourquoi le contrat est une figure juridique majeure de la Régulation.

Le mécanisme de l'autorégulation va plus loin, puisque la Régulation elle-même y est construite sur des engagements contractuels, dispensant de règles et de régulateur exogènes.

Contrôle

Le contrôle est une notion si centrale en régulation que le terme anglophone Regulation ou l'expression Regulatory system sont souvent traduits par le mot francophone "contrôle". En effet, le régulateur contrôle le secteur dont il a la charge. Ce contrôle s’opère ex ante par l’adoption de normes de comportements, soit qu’il interdise des comportements, soit qu’il y oblige. En outre, il dispose souvent par exemple du pouvoir d’agrément d’entreprises entrant dans le secteur ou du pouvoir de certification de certains types de produits vendus sur les marchés dont il a la responsabilité. En outre, il surveille en permanence les secteurs dont il a la charge puisqu’il a pour fonction soit de les construire pour les mener jusqu’à la maturité concurrentielle soit qu'ils demeurent en équilibre entre le principe de concurrence et un autre souci, par exemple de veiller à ce qu’ils ne basculent pas dans une crise systémique. Ces contrôles ex ante distinguent radicalement l’autorité de régulation de l’autorité de concurrence qui n’intervient qu’ex post. Enfin, l’autorité de régulation contrôle le secteur ex post : en cela elle travaille en continuum temporel, en sanctionnant les manquements qu’elle constate de la part des opérateurs aux prescriptions qu’elle a adoptées. Elle dispose souvent d’un pouvoir de règlement des différents si deux opérateurs s’affrontent dans un litige entre eux et le portent devant elle.

Cette fonction de contrôle propre à l’autorité de régulation, fonction qu’elle partage souvent avec l’administration traditionnelle, et qui l’oppose à l’activité de l’autorité de concurrence et des tribunaux, est rendue difficile d’abord par son possible manque d’indépendance. En effet, si le régulateur doit contrôler un opérateur public, il peut risquer d’être capturé par le gouvernement, toute l’organisation du système de régulation devant donc veiller à son indépendance non seulement statutaire mais encore budgétaire par rapport à celui-ci. Ce risque de capture est d’ailleurs permanent non seulement du fait du gouvernement mais encore du fait du secteur. En second lieu, le contrôle peut être inefficace si le régulateur n’a pas les informations adéquates, fiables et en temps voulu, risque engendré par l’asymétrie d’information. Pour lutter contre celle-ci, selon l’image enfantine du bâton et de la carotte, il faut tout à la fois donner au régulateur des pouvoirs pour extirper des informations que les opérateurs ne veulent pas fournir, les textes ne cessant de donner aux régulateurs de nouveaux pouvoirs, par exemple de perquisition. Symétriquement, les opérateurs sont incités à fournir des informations au marché et au régulateur par exemple à travers les programmes de clémence ou bien la multiplication des informations à insérer dans les documents sociétaires. Enfin l’équilibre est difficile entre la nécessité de lutter contre la capture du régulateur et la nécessité de réduire l’asymétrie d’information car le meilleur moyen pour celui-ci d’obtenir des informations du secteur est de fréquenter assidument les opérateurs : or, cet échange que ceux-ci acceptent très volontiers est la voix ouverte à la capture. C’est donc tout un art pour le régulateur de tenir à distance les opérateurs tout en obtenant d’eux des informations que seules des relations non tendues lui permettent d’obtenir.

 

Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) pose que toute personne a droit à un tribunal impartial.

Dans la mesure où le régulateur est en France le plus souvent une Autorité administration indépendante (AAI ) et que celle ci est assimilée à un tribunal, le régulateur est astreint à respecter à la CEDH. Cela participe de juridictionnalisation de la régulation.

Ainsi, lorsqu’il y a procédure de sanction ou règlement des différents c’est un véritable procès qui s’instaure, et les entreprises, aidées de leurs avocats, doivent bénéficier de l’accès au dossier, du principe du contradictoire, des droits de la défense, du droit de participer  au débat à l’audience. Dans ces garanties fondamentales de procédure figurent également l’obligation pour le régulateur de motiver ses décisions, ce qui facilite le contrôle qu’exerce sur lui les juridictions de recours, et de créer par accumulation des décisions une sorte de jurisprudence des régulateurs eux-mêmes.

Ainsi, les droits de l’homme par la procédure ont pénétré dans les Autorités de régulation. Cela renvoie à un des enjeux qui se met en place, à savoir l’équilibre qui doit s’établir entre les lois du marché et les prérogatives non économiques des individus.

Crise

Une crise désigne un dysfonctionnement inattendu et destructeur d’une organisation. Sur un marché ordinaire de biens et services, les crises sont internes aux entreprises, par exemple par le jeu de conflits sociaux, et peuvent même aboutir à la disparition de l’entreprise. Mais, cela n’aboutit pas à une crise du marché car la crise interne de l’entreprise ne se communique pas au marché. C’est pourquoi les théories du marché n’ont pas besoin d’appréhender le fonctionnement interne des entreprises qui sont ainsi volontairement désignées, en raison même de cette indifférence, comme des « boîtes noires ». En effet, une faillite d’entreprise sur un marché ordinaire montre le dynamisme du marché puisque ce sont les entreprises faibles et inadaptées qui sont éliminées au bénéfice des entreprises innovantes, poussant des tiers plus dynamiques à entrer sur le marché pour prendre la place, selon le schéma de la destruction créatrice de Schumpeter et que le droit de la concurrence avalise. Ainsi, la crise, non seulement n’est pas un problème pour le marché ordinaire mais a supposer même qu’on s’en soucie, elle constitue un signe de bon fonctionnement.

Il en est tout différemment en cas de fonctionnement systémique dans des secteurs particuliers. Le cas le plus connu est celui des marchés bancaires et financiers. En effet, si les investisseurs commencent à perdre confiance  dans les intermédiaires, principalement dans les banques par un effet auto-réalisateur, le marché commence à s’effondrer, ce qui conduit les investisseurs, confortés dans leur peur, à retirer leurs avoirs et à réaliser l’effondrement total du marché par un effet domino qui détruit l’ensemble du système. Par la globalisation des marchés financiers et bancaires, aujourd’hui réalisée par la dématérialisation des titres et la technologie, la crise systémique est mondiale. Les régulateurs bancaires et financiers ont donc comme premier office de lutter contre la crise en premier lieu pour la prévenir, par l’information, la transparence et la protection de l’investisseur, en deuxième lieu pour la gérer, par le soutien des opérateurs défaillants et la sanction des opérateurs coupables, et en troisième lieu pour sortir de la crise, par la restauration de la confiance des opérateurs dans les marchés.

Mais il ne faut pas limiter cette prévalence de la crise dans le système de régulation aux seuls marchés bancaires et financiers. En effet, deux phénomènes majeurs empêchent que des biens et services soient laissés au seul et simple schéma du marché ordinaire, c'est-à-dire en fait au seul simple droit de la concurrence.

En effet, le marché concurrentiel suppose le caractère infini de la production des biens et services dès l’instant qu’il y a de la demande d’une part, et le caractère instantané de la production et des transactions d’autre part. Or, tout d’abord, de nombreux biens et services constituent des ressources rares. Il s’agit notamment des ressources énergétiques, qui sont les premiers enjeux de l’économie mondiale. Elles sont alors l’objet nécessaire de régulation, puisqu’on ne peut pas par exemple produire du gaz ou du pétrole. L’enjeu de l’eau est encore plus important, alors même que la régulation de l’eau en est encore à ses balbutiements. De la même façon, le caractère instantané de la production et des échanges ne vaut pas dans toute l’activité agricole qui suppose l’écoulement du temps pour produire les biens, végétaux et animaux, et qui subit les aléas climatiques que l’homme ne maîtrise pas et qui, si on laisse jouer la loi du marché, entraîne un prix certes exact  mais d’une très grande variabilité (loi de King). La régulation agricole intervient alors pour lisser dans le temps les prix et rendre possible cette activité économique qui n’existe que sur des rythmes annuels ou pluriannuels, ce à quoi le schéma du marché ordinaire ne correspond pas. Si une crise agricole advient, comme la crise du prix du porc ou la crise du prix du lait, la solution est alors de se soustraire des mécanismes concurrentiels pour trouver une solution, soit par le biais des contrats pluriannuels entre producteur et revendeur soit par le biais des aides d’État alors justifiées par la crise, voire par le biais des tarifications.

On voit ainsi que la crise n’est plus une notion périphérique et bienvenue dans le modèle mais bien le souci central et permanent du modèle. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui passés du modèle concurrentiel au modèle de la régulation. Cela est notamment vrai en Europe, puisque depuis 2010 se construit notamment l'Europe bancaire, l'Union bancaire ayant pour base la régulation.